BATAILLONNAIRES, GOUMIERS, MEHARISTES

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 LES TROUPES D AFRIQUE DANS LA GUERRE DE 39/45 • 

LES REGIMENTS DE ZOUAVES 1914-1918 • 

LES REGIMENTS DE TIRAILLEURS 1915/18 •

PRIÈRE POUR NOS FRERES MUSULMANS • 

BATAILLONNAIRES, GOUMIERS, MEHARISTES •

     Indésirables dans les corps de troupe de la métropole, incorporés dans des unités d'infanterie aux garnisons choisies dans les bleds les plus lointains, rachetant le plus souvent leurs fautes sous l'uniforme, chapardeurs sans vergogne mais doués, lorsqu'il le fallait, d'un extraordinaire courage, tour à tour appelés "zéphyrs" ou "joyeux", les jeunes Français qui vont faire leur service "aux bataillons", aux Bat d'Af, sont triés sur le volet inférieur. Ils n'en sont pas moins des soldats d'Afrique et, sur la fin de leur existence - puisque les "bataillons" ont disparu comme tout le reste - il reçurent un drapeau.

    Venus des tribus marocaines pour constituer ces goums qui vécurent comme à l'âge antique, subvenant à tous leurs besoins, appelés "supplétifs", gens sans uniforme naguère puis vêtus de la djellaba de bure sous laquelle ils ont accompli de merveilleux exploits, durs et fidèles, élevés dans la clandestinité aux jours de malheur, ayant constitué une force compacte aux ordres de chefs éminents, ceux des goums mixtes marocains, dont le drapeau reçut la croix de la Légion d'honneur, furent de purs Africains qui se plaisaient aux jeux de la guerre.

    Issus des tribus nomades qui parcouraient le Sahara en se livrant aux pires exactions, enrôlés sous le drapeau de ceux qu'ils avaient combattus, ils réussirent à pacifier l'immense désert où l'on put circuler à peu près en sécurité. Les Sahariens, les Méharistes, qui ont été les héros de vingt films et de nombreux romans, les "escadrons blancs" qui sont basés aux oasis d'où ils partent, alertés par des fils mystérieux, à la poursuite des djiches, hommes voilés du pays d'Antinéa, ils avaient, eux aussi, un étendard sur la soie duquel ne brillait qu'un seul nom, "El Goléa", symbole de la pénétration française au Sahara. Au cours des dernières années, avant leur disparition, on avait mis certaines de leurs compagnies "sur roues" dans des jeeps. Le progrès devait s'arrêter là.

 L'INFANTERIE LEGERE D'AFRIQUE

    Le financement de la présence française en Algérie se fit assez durement sentir dès les premières années du règne de Louis-Philippe qui avait hérité cette conquête déclenchée sous le signe du drapeau blanc. Certains le pressaient de l'abandonner, mais il tint bon. Par ailleurs, à une époque où des complications européennes étaient à craindre, il importait que les forces vives de l'armée française n'aillent pas se perdre trop loin de la métropole. Des conseillers militaires avisés s'efforcèrent de trouver des "forces de remplacement" et de maintenir la présence française à Alger tout en rapatriant massivement les régiments dont nos garnisons s'étaient dégarnies. On "inventa" ainsi les zouaves, on forma des bataillons de "turcs" naguère à la solde des beys, et, en 1832, le 13 juin, une ordonnance royale autorisa la création de deux bataillons d'infanterie légère d'Afrique, chacun à huit compagnies.

    Ils devaient être composés :

 1° Des militaires qui à leur sortie des compagnies de discipline devaient achever leur temps de service dans l'armée.

 2° De ceux qui, condamnés pour des délits par les chambres correctionnelles, devaient à leur sortie de prison, satisfaire aux obligations militaires prévues par la loi.

 3° D'engagés volontaires.

Ce n'étaient donc point précisément des unités disciplinaires, mais des corps d'épreuve, éprouvés par toutes les fatigues et toutes les misères des actions de guerre ou de pacification auxquelles on les soumettait. De ces longues et épuisantes colonnes dans le bled, les "bataillons" revenaient éreintés, les vêtements en lambeaux, pieds nus ou presque. Mais on les voyait passer la gouaille aux lèvres, joyeux dans ces haillons et les loustics de caserne les surnommèrent  "zéphyrs à poils". Puis on les appela tout simplement "les joyeux" : des têtes à l'envers, des écervelés, mais comptant dans leurs rangs beaucoup de braves gens. Partout où ils sont allés, on a rendu justice à leur courage. Leur nom réglementaire est "chasseur des bataillons d'infanterie légère d'Afrique".

    On a souvent confondu les bataillons d'Afrique avec les formations appelées "compagnies disciplinaires" ou "sections d'exclus". Les "disciplinaires" étaient de mauvais soldats pour lesquels les sanctions ordinaires avaient été reconnues inopérantes. Les "exclus" étaient des condamnés à une peine infamante, considérés comme indignes de porter les armes. Les chasseurs des bataillons d'Afrique étaient ceux qui avaient un "casier judiciaire" portant mention d'une condamnation avant l'entrée au service, mais pour une faute relativement peu grave. Il n'y avait aucune raison pour qu'ils ne fassent pas de bons soldats, mais on avait créé pour eux un corps spécial, dont le régime était d'ailleurs le même que celui des autres corps de troupe de l'armée française, mais...

    En Algérie, ils prirent part à toutes les affaires qui marquèrent les étapes de la conquête. Le 10 novembre 1835, à Bougie, ils s'emparent de la position de Darnassar occupée par les Mesayas. Le lendemain, sortis des lignes de Bougie pour enterrer leurs camarades tombés au dernier combat, ils doivent lutter contre 4000 Kabyles qu'ils repoussent à la baïonnette. Le 24 novembre 1836, le général Trézel, grièvement blessé au cours des opérations du premier siège de Constantine, est sauvé par le caporal Rouard, du 2e bataillon, qui le charge sur ses épaules. Au deuxième siège, une compagnie franche fait partie de l'une des trois colonnes d'assaut et pénètre de vive force dans la place, laissant sur le rempart son capitaine et 75 hommes tués, 2 officiers et 30 chasseurs blessés. A Cherchell en mai 1840, le bataillon du commandant Cavaignac lutte furieusement pendant cinq jours. L'autre bataillon, le 1er, guerroie en Oranie et se couvre de gloire à l'affaire de Mazagran. C'est au début de février, lorsque Abd-el-Kader, ayant dénoncé le traité de la Tafna, attaque brusquement. Son lieutenant, Mustapha ben Tami, à la tête d'une harka de 12000 Arabes, se porte sur Mazagran qu'il essaie d'enlever de vive force. Le 3 février, il encercle la kasbah, faible réduit en pierre sèche défendu par 123 chasseurs de la 10e compagnie du 1er bataillon, sous les ordres du capitaine Lelièvre. Deux canons battent en brèche le bâtiment, puis les Arabes donnent l'assaut. Ils le donneront pendant quatre jours, sans cesse repoussés. Le 7 février au matin, les défenseurs sont dégagés par une partie de la garnison de Mostaganem, accourue sous les ordres du colonel du Brail. La petite troupe fut ramenée à Mostaganem, dix-sept citations lui furent accordées et la compagnie du capitaine Lelièvre reçut en garde le drapeau, troué par les balles, qui avait flotté sur les murs de la kasbah de Mazagran. Jusqu'après la guerre de 1914-1918, le 1er bataillon conserva précieusement cette relique. Puis elle fut versée au musée de l'Armée.

   Vingt, trente combats, ont marqué la part que prirent les bataillons d'infanterie légère d'Afrique à la pacification de l'Algérie. Ils peuvent revendiquer une grande part des succès remportés à Laghouat, à Trebissa et au col de Tirourda. Puis ils reprirent l'œuvre des légionnaires de Rome, construisirent des routes, des postes. L'une de leurs réalisations originales fut le jardin du Kreider. Le Kreider, où rien n'existait avant l'arrivée des Français, est un point des Hauts Plateaux qui commande le seul passage existant entre le chott Ech Cherqui, et permet de se rendre par Bou-Ktoub, d'une part sur Géryville, d'autre part sur Mecheria et Aïn-Sefra. Le 1er bataillon d'Afrique, utilisant une source d'eau douce située à proximité de son bivouac, réussit à transformer une portion du sol magnésien et mouvant du chott, en un parc magnifique, comprenant une ferme modèle entourée de prairies nourrissant un troupeau de bovidés, des vergers et des potagers produisant les fruits et les légumes de France. Le Kreider, à partir de 1913, fut passé à la Légion, lorsque le 1er bataillon d'Afrique fut transféré au Maroc.

    En février 1864, le 2e bataillon d'Afrique fut envoyé au Mexique; sous les ordres du commandant Colonna d'Ornano, il prit part à plusieurs combats. Avec le commandant Chopin, il effectua la dure colonne de Vittoria et fut cité à l'ordre. Il resta l'un des derniers sur le territoire évacué pour couvrir la retraite et livra un ultime combat à Chalco.

    Au Tonkin, en 1884, un bataillon, capitaine Servière, combattit à Bac-Lé, Lang-Son, Kao-Niat, Ha-Hoa, Dong-Sun. Un bataillon de marche opéra pendant deux ans au Dahomey, contre Behanzin (1893).

    Les trois bataillons qui existaient en 1907 furent engagés au Maroc.

    En France, les chasseurs des bataillons d'Afrique étaient venus en 1870, formant un régiment de marche sous les ordres du lieutenant-colonel Grateaud. A Beaune-la-Rolande, une seule compagnie eut 80 tués, dont son chef le capitaine Dupeyron. Le lendemain, à l'affaire de Mézière, elle perdait encore 70 hommes sur la centaine à laquelle elle était réduite. Le régiment passa à l'armée de l'Est à la fin de l'année 1870, combattit à Villersexel, à Héricourt, livra enfin le combat d'Oye, le 1er février 1871.

    En 1914, il existait cinq bataillons d'infanterie légère d'Afrique : le 1er à Oran (dépôt à Marnia), le 2e en opérations au Maroc (dépôt à Mcheyda  et EI-Hadjeb), le 3e au Maroc (dépôt à Casablanca), le 4e en Tunisie (dépôt à Gabès), le 5e également en Tunisie (dépôt au Kef).

    A la mobilisation, on regroupa divers éléments pour constituer des bataillons de marche. Le 1er bataillon de marche fut formé le 29 octobre 1914 avec des compagnies du 2e et du 1er; le 2e bataillon de marche avec le 3e bataillon et une compagnie du 1er au Maroc en novembre 1914; le 3e bataillon de marche avec les 4e et 5e bataillons, également en novembre 1914. Le "groupe des bataillons de marche d'infanterie légère d'Afrique" fut constitué le 2 janvier 1918, Le 3e bataillon de marche obtint six citations à l'ordre de l'armée et se couvrit tout particulièrement de gloire au cours de l'affaire héroïque de "la Maison du Passeur" en Belgique, il porta la fourragère rouge. Le 1er bataillon de marche obtint la fourragère aux couleurs de la médaille militaire et le 2e celle aux couleurs de la croix de guerre.

    Reformés après la guerre, les cinq bataillons reprirent leurs garnisons traditionnelles. Le 5e (formé en 1889) fut dissous en 1925. Le 2e et le 4e furent dissous en 1927, le 3e en 1935. Le 1er disparut en 1940, il était en garnison à Tatahouine. Il fut reformé en 1944 et fut en Indochine jusqu'en 1951. Le 3e fut reformé en 1951 et subsista jusqu'à la disparition de l'armée d'Afrique.

    Les bataillons d'Afrique reçurent un drapeau en 1950. Ses inscriptions furent les suivantes : Mazagran 1840, Maison du Passeur 1914, Verdun 1916, Reims 1918, La Suippe 1918.

    L'uniforme était sensiblement, avant 1914, le même que celui de la Légion étrangère, avec la ceinture bleue et le col de la tunique jonquille. Les galons de laine étaient jonquille, le passepoil du képi également. L'insigne distinctif était le cor de chasse (au lieu de la grenade à sept branches). Les épaulettes avaient le corps rouge et les franges vertes. Les officiers, même uniforme que ceux de la Légion, avec boutons et galons d'argent, plumet vert comme aux chasseurs à pied. Ecussons de col du drap de fond et chiffres violets (pour la troupe). Cette distinctive violette, les bataillons la conservèrent entre les deux guerres.

    Ils furent chantés par quelques poètes de faubourgs comme Aristide Bruant qui avait mis à la mode les couplets fredonnés à Montmartre ;

          C'est nous, les Joyeux

          Les petits Joyeux

          Les petits marlous qui n'ont pas froid aux châsses

          C'est nous les Joyeux,

          Les petits Joyeux,

          Les petits marlous qui n'ont pas froid aux yeux.

    Leur départ pour "les bataillons" en octobre de chaque année nécessitait un service d'ordre assez rigoureux, car toutes les filles venaient accompagner à la gare "leurs hommes" qui partait pour l'Afrique.

    Francis Carco, Pierre Mac Orlan les ont célébrés, sur le mode nostalgique. Le refrain du 1er bataillon ; "Joyeux, fais ton fourbi, pas vu, pas pris, mais vu, rousti. Bat d'Af !" est bien connu, comme leur chant de misère :

          II est sur la terre africaine

          Un bataillon dont les soldats

          Sont tous des gars qu'ont pas eu d' veine

          C'est le Bat d'Af et nous voilà...

          Pour être joyeux chose spéciale

          II faut sortir de la rue de Poissy

          Ou bien sortir d'une centrale.

          C'est d'ailleurs là qu'on nous choisit

          Mais après tout, qué qu'ça fout, on s'en fout...

          En marchant sur la grand-route

          Souviens-toi

          Les anciens l'ont fait sans doute

          Avant toi

          De Gabès à Tatahouine

          De Gafsa à Médenine

          Sac au dos dans la poussière

          Marche, bataillonnaire...

    Il fallait entendre Carco lancer les notes de cette chanson.

    Marc Orlan rapporte que l'on désigna les trois premiers bataillons d'Afrique par les sobriquets respectifs de Chacals, Zéphyrs et Chardonnerets. Ce qui est peut-être exact. Les réservistes appelés à la mobilisation de 1914, que l'on appelait les "Groupards", avaient bâti une église en briques à Tatahouine, face au camp Dutertre où subsistait le 1er B.I.L.A. en 1939. La défense de Mazagran en 1840 était le Camerone des Joyeux. Mac Orlan avait entendu, dans les cantonnements de l'Artois, en 1915. une chanson dont le refrain disait :

          J'ai dans le cœur une chanson nouvelle,

          Mes vieux copains, retenez la chanson,

          II vaudrait mieux finir à la Nouvelle

          Que de servir au troisième bataillon.

    La Nouvelle, c'est-à-dire la Nouvelle-Calédonie, l'ancien bagne. Et un jeune chasseur lui avait copié, avant l'attaque de Rancourt et de Bouchavesnes, en 1916, les paroles d'une autre chanson que chantait aussi Carco et dont le refrain est le suivant :

          Plan, rataplan, au r'voir à tous les parents,

          Aux frangins, aux goss's affranchis

          A la môme Chochotte qui fait des chichis

          A la Louise, à la grande Clara

          A la Rouquine, excetera

          Et toi, la bell'goss' qu'est-ce que tu prendras

          Quand on r'viendra !

    On n'en finirait plus de vouloir citer toutes  ces chansons... Ce ne sont plus que des souvenirs. Les Joyeux, c'est terminé.

 LES GOUMS MIXTES MAROCAINS 1907-1956

    Nombreux sont les Français, officiers, sous-officiers, hommes de troupe, qui ont servi dans les goums mixtes marocains, non seulement, au cours de la dernière guerre, de la Tunisie au Rhin en passant par la Corse, l'île d'Elbe, l'Italie, la Provence, la Franche-Comté, l'Alsace, mais aussi sur le sol marocain, depuis l'année 1908 où ils furent constitués pour la première fois. Troupe incomparable encadrée par des hommes de valeur, les officiers des Affaires indigènes. D'abord supplétifs, puis réguliers, les goums marocains ont réuni des guerriers qui ont magnifiquement contribué à la victoire de 1945. Ils ont vécu une extraordinaire aventure. Leur histoire constitue l'un des chapitres les plus prenants des fastes de l'Armée française.

    Le 9 mai 1956, à N'Kheila, près de Rabat, dans le quartier du 1er tabor marocain, les 41 goums, représentés par leurs fanions ornés de la traditionnelle queue de cheval, disaient adieu à leur drapeau. En exécution des accords de Paris, ils étaient dissous et transférés à l'armée royale marocaine. Le colonel Aunis, leur dernier chef, donna lecture de l'ordre de dissolution ;

   "Les goums marocains quittent l'Armée française. Toute leur histoire est incluse entre ces deux dates : 1908-1956, la pacification du Maroc, la Tunisie, la Sicile, l'Italie, la Corse, l'île d'Elbe, la France, l'Allemagne, l'Indochine, l'Aurès...

   " Ils ont été de toutes les campagnes et peu de troupes ont cueilli, en si peu de temps, autant de gloire. Marqués dès leur origine, par le général d'Amade, du sceau du génie français, ils ont été pendant près d'un demi-siècle, fidèles à leur tradition de vie et de devoir. Leur rayonnement, dans la pacification du Maroc, leur fougue dans la reconquête du sol français sous l'impulsion de chefs prestigieux, leurs sacrifices en Extrême-Orient, ont inscrit une fulgurante épopée dans les plis de leur drapeau et de leurs fanions.

    " Le destin des peuples va désormais nous séparer d'eux. A nos compagnons d'armes qui furent l'objet de notre part de tant de sollicitude, nous disons aujourd'hui un adieu ému.

    " C'est la fierté au cœur d'avoir été dans leurs  rangs, d'avoir mêlé généreusement notre sang au  leur au cours de tous les combats, que nous leur garderons un souvenir plein de ferveur.

    " Le drapeau des goums est pour la dernière fois au milieu de nous. En le saluant, élevons nos pensées vers tous ceux tombés glorieusement au champ d'honneur, officiers, sous-officiers, gradés, goumiers marocains. Puisse leur sacrifice résonner dans tous les cœurs."

    Ainsi se terminait l'épopée des goumiers de l'Atlas, vêtus de leur djellaba de laine brune devenue légendaire. Un corps d'élite de l'armée d'Afrique disparaissait.

    Le 8 juin qui suivit les adieux de Rabat, le drapeau des goums était versé au musée de l'Armée, à Paris. Une cérémonie se déroula dans la cour d'honneur des Invalides. Un ministre, M. Max Lejeune, représentait le gouvernement de la République et le maréchal Juin était là, lui qui avait eu les goums sous ses ordres. Il avait peine à retenir ses larmes. On vit pénétrer sous la voûte une demi-douzaine d'officiers vêtus pareillement de kaki, coiffés du képi bleu de ciel frappé du croissant d'or et du sceau de Salomon. Le colonel Aunis portait le drapeau symbole des 68 citations obtenues par les tabors. Lorsque les honneurs lui eurent été rendus, le drapeau disparut dans la salle Turenne.

    Les premiers goums furent organisés à l'époque où la France intervint au Maroc pour y rétablir l'autorité du sultan.

    Pour étendre la zone d'action des troupes françaises dans toutes les tribus, auxiliaires indigènes étaient nécessaires afin d'établir le contact avec les populations, afin de mettre sous leurs yeux l'exemple des relations cordiales nouées en Algérie entre les Français et les Arabes et les Berbères. On fit donc venir d'Algérie des goumiers. C'étaient des musulmans levés dans les tribus des Hauts-Plateaux et du Sud, dont la présence prouvait que les Français n'étaient pas des conquérants ennemis de l'Islam, utilisant des mercenaires, mais qu'ils avaient l'appui et la confiance de contingents de même race, de même religion que les populations des plaines littorales marocaines. Ces goumiers étaient commandés par des officiers des Affaires indigènes. C'étaient, écrivait naguère le général Simon, qui les connaissait bien, des cavaliers alertes, dévoués à leurs chefs, ayant des qualités guerrières suffisantes pour l'escarmouche, mais inaptes à la bataille rangée. Par ailleurs, on ne pouvait pas les tenir longtemps éloignés de leur pays, de leurs familles. Ils ne firent au Maroc que des séjours de courte durée. On les relevait tous les quatre mois.

    On en vint donc tout naturellement au projet de former des goums permanents marocains, de créer une force originale, apte aux missions de police et au combat. C'est ainsi qu'en 1908, Simon, alors commandant et chef du service des renseignements et des Affaires indigènes, agissant sur les instructions du général d'Amade, organisa les six premiers goums marocains dont les points d'attache furent fixés comme suit :

 - 1er goum : Sidi-Ali (Azemmour)

 - 2e goum : Ouled-Saïd

 - 3e goum : Settat

 - 4e goum : Kasbah. Ben Ahmed

 - 5e goum : Dar Bou Azza (camp Boucheron)

 - 6e goum : Sidi Ben Sliman (camp Boulhaut)

   Chaque goum comprenait la valeur d'une compagnie d'infanterie et d'un peloton de cavalerie, avec un petit train muletier. Il était commandé par un capitaine français, disposant de trois lieutenants, et de quelques sous-officiers et soldats français ou algériens musulmans. Les goumiers étaient des volontaires liés par un acte d'engagement, recevant une solde, un armement, mais s'habillant, s'équipant, se remontant à leurs frais. Chacun faisait la popote à sa guise, bénéficiant de denrées cédées par l'intendance. Les goumiers vivaient en famille, dans un douar annexé au poste où logeaient les célibataires. Leur mission consistait à assurer la sécurité du pays, à patrouiller, à éclairer les troupes régulières dans leurs déplacements, à former un élément attractif permettant le contact avec les populations, dissipant les préventions et les malentendus.

    La réussite fut à peu près complète. Mais le calme était loin d'être total au Maroc et une longue campagne commença, en vue de réduire les tribus dissidentes et de les ranger sous l'autorité du sultan. Les goumiers y tinrent un rôle très actif. Ils participèrent d'abord à de petites actions dans la Chaouïa, reçurent le baptême du feu en 1910, subirent des pertes, plusieurs de leurs officiers furent tués. Les six goums prirent part à l'expédition de Fez en 1911. Leurs effectifs atteignaient, à ce moment-là, 17 officiers, 158 gradés ou soldats français, 820 goumiers avec 230 chevaux. Ils  furent engagés contre le prétendant El Hiba, un Mauritanien, qui fut battu à Sidi Bou Othman en  septembre 1912 par le colonel Mangin. Sitôt après, Marrakech fut occupé sans coup férir par un détachement léger aux ordres du commandant H. Simon, "père" des goums.

    Les résultats ayant été concluants, une instruction ministérielle, en date du 9 août 1913, régla l'organisation et le fonctionnement de ces premières forces supplétives marocaines dont l'entretien fut assuré par le budget français. Les goumiers furent, après l'expédition de Fez, armés de fusil modèle 1886, comme les troupes régulières. Ils étaient alors vêtus de toile kaki portaient la toile de tente en sautoir, à l'intérieur de laquelle était roulée une veste, ils étaient dotés d'un étui-musette, d'un bidon, d'un ceinturon à cartouchières, coiffés du chèche. Par ailleurs, on avait organisé des bataillons réguliers de tirailleurs qui, après avoir pris part à des actions au Maroc, vinrent se battre dès septembre 1914 sur le front français, et des escadrons de spahis marocains qui combattirent surtout à l'Armée d'Orient, puis à l'Armée du Levant. Les goumiers, eux, restent des supplétifs qui ne figurent pas dans le corps de bataille de l'armée. Ils sont à la fois pasteurs et soldats, constamment aux avant-postes, menant une vie qui les durcit, en fait d'excellents guerriers se transformant en travailleurs, poussant leur influence toujours plus loin, gardant leurs qualités de rusticité, d'endurance.

    Les progrès de la pacification s'étendaient. Avec des forces très modestes, Lyautey maintint le Maroc dans un calme à peu près complet durant la guerre de 1914-1918. Mais les besoins en forces auxiliaires allaient croissant sans cesse. En 1920, les goums étaient au nombre de 25. Peu à peu, les Berbères venaient s'engager. Les unités de la plaine, à recrutement arabe, voyaient se former, à leurs côtés, des unités de montagne. L'encadrement variait, mais était moins fort qu'au début : deux officiers et sept ou huit sous-officiers français par goum. En 1933, le nombre des goums fut porté à 48, formant un effectif total de 6000 fantassins et 2000 cavaliers. C'est l'époque où les derniers dissidents dans le sud-ouest marocain font leur soumission, Les officiers des Affaires Indigènes ont accompli une lourde tâche. Ils forment un corps d'élite, composé de volontaires sélectionnés. Leurs pertes sont sévères. Les goums constituent de véritables familles guerrières dont le chef est incontesté, vénéré. D'ores et déjà, ils ont accumulé les actions d'éclat, les fanions de quatorze d'entre eux ont reçu la croix de guerre, avec palmes ou étoiles. Leurs chefs, qui ont payé de leur vie ces exploits, s'appellent Morelle, Faure, Séjourné, Lafitte, Legagneux, Debray, Gueyetand, de Maistre, Payron, Bournazel.

    Aussi le lieutenant de Chappedelaine, des A.l. du Maroc; qui trouva une mort glorieuse le 22 janvier 1932, au Ras Hamda, en poursuivant et attaquant, avec 35 maghzens et  partisans un djich de 100 fusils... "pour nous, Chappedelaine, disait dans son ordre du jour le commandant supérieur des troupes du Maroc, votre nom restera attaché à l'histoire de la conquête du Sahara marocain, il sera  gravé au fronton de ce poste de Touroug que vous avez si bien défendu." Et aussi le lieutenant Debray, commandant le 31e goum, tué à Tadiount, le sous-lieutenant Turget, tué à Lalla Oulia. Avec Bournazel s'étalent illustrés le 24e goum, sous-lieutenant SIeurac; le 14e, lieutenant Roche; le 39e lieutenant Timpagnon, tué... et la harka de réserve du groupement ouest, lieutenant Robillot... Le Bou Gâter, cela avait été l'une des plus violentes batailles de la campagne du Maroc. Les dissidents devaient faire leur soumission le 25 mars. Ils étaient 800 au début de l'opération, ils avalent perdu 350 des leurs. De notre côté, les morts étaient encore plus nombreux.

    A partir de 1937, on crée des "goums auxiliaires", car on prévoit une nouvelle guerre européenne et le Maroc sera appelé à fournir, comme en 1914, sa contribution en troupes régulières. D'autre part, la menace Italienne constitue un nouveau problème. Il faudra donc maintenir l'ordre au Maroc comme dans tout le Maghreb. Ces goums auxiliaires sont d'abord au nombre de 40, puis de 51, ou de 67, selon d'autres estimations (1 ). La mobilisation de ces unités est semblable à celle que l'on a pratiquée à l'époque de la Première Guerre mondiale et que l'on pratiquera encore en 1939, c'est-à-dire que chaque unité d'activé donnera naissance à des unités de réserve. Chaque goum actif prépare la levée d'un goum auxiliaire composé de volontaires, qui perçoivent, au titre des réserves, une prime annuelle, bénéficient de certains avantages (exemption de prestations), sont tenus à une  période d'instruction. Leurs cadres sont composés de gradés de la réserve. Le goum auxiliaire porte le même numéro que le goum actif, augmenté de 100. Si le goum actif mobilise deux goums auxiliaires, le deuxième porte le numéro augmenté de 200.

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(1) Cf. Revue Historique de l'Armée, année 1952, n° 2, "Les goums mixtes marocains", par le général Spillmann. La "Répartition et le stationnement des troupes de l'armée française" au 16 janvier 1939 mentionne 51 goums et 1 goum hors-rang. Il y en avait 57 en septembre 1939.

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    Peu à peu, les goums marocains se sont organisés et cette organisation a été très poussée, car, sur leur action, repose la paix française au  Maroc. Ils sont installés dans des "douars" modèles, avec écoles d'artisanat, culture reposant sur des méthodes modernes, pépinières, etc. Ils forment ainsi de petits centres ruraux fort bien tenus.

     Dès l'ouverture des hostilités, en septembre 1939. le Maroc mobilise 126 goums. En mai 1940. on constitue 15 groupements à 4 goums. Et, peu après, trois de ces groupements appelés "supplétifs marocains" sont dirigés sur le front de Tunisie (2).

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 (2) 1er groupement, commandant Leblanc, 108e, 11er, 147e. 208e goums. 2e groupement, commandant Boyer de Latour du Moulin, 101e, 104e, 201e, 204e goums. 3e groupement, commandant de Jenlis, 114e, 157e, 214e, 257e goums. Il s'agit donc d'anciens goums auxiliaires, mobilisés, entraînés et devenus aptes au combat. Les goums actifs sont demeurés au Maroc, où leur présence est indispensable. Voir l'étude très documentée des colonels Pierre Bertiaux et Yves Jouin : Historique des goums marocains, la période de camouflage des méhallas chérifiennes, juin 1940-novembre 1942, préface du général d'armée Guillaume, supplément au bulletin de liaison de la Koumia, Paris 1966.

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    Le 24 juin, l'un des goums effectue un coup de main sur un poste italien.

    C'est bientôt l'armistice, les trois groupements sont rapatriés au Maroc, disloqués le 1er septembre. Les commissions d'armistice italo-allemandes s'installent en Tunisie, en Algérie et au Maroc.

 LES GOUMS DE 1943 A 1945

    Bien avant le débarquement allié d'Afrique du Nord les goums avaient été organisés secrètement en "tabors", c'est-à-dire l'équivalent d'un bataillon d'infanterie à trois goums (compagnies), et un goum de commandement, d'engins et de transmissions. Les tabors formaient le "groupement de tabors", l'équivalent d'un régiment d'infanterie à trois tabors (bataillons).

    Au mois de novembre 1942, les goums marocains, au nombre de 102, se tinrent prêts à entrer de nouveau en guerre.

    Dès le début du mois de décembre, deux groupements de tabors furent dirigés sur le front tunisien. Ils étaient commandés, respectivement, par le commandant Leblanc et le commandant Boyer de Latour du Moulin (3).

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(3) 1er groupement : 2e tabor (G.C.E.T., 51e, 61e, 62e goums), 3e tabor (G.C.E.T., 4e, 65e, 101e goums). 12e tabor (G.C.E.T., 12e, 63e. 64e goums). 2e groupement : 1er tabor (47e, 58e, 59e, 60e goums), 6e tabor (36e, 72e, 73e. 74e goums), 15e tabor (8e. 11e, 30e, 39e goums).

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Ils furent à pied d'oeuvre le 16, l'un des tabors exécuta un raid vers le carrefour de la route Tunis-Pont-du-Fahs et de la route d'Oùm el Arbaoua. Puis les goumiers furent engagés dans les montagnes de la Dorsale en direction de Kairouan, ils combattirent au Djebel Bargou, passèrent un dur hiver, prirent l'offensive en avril sur la petite Dorsale, firent prisonniers 9000 Italiens et Allemands et, une fois la victoire acquise, revinrent au Maroc se préparer à d'autres combats.

    En septembre, à la demande du général américain Patton, le 4e tabor (commandant Verlet) fut mis à la disposition des troupes américaines en Sicile, assura leur couverture en montagne, de Licate à Palerme, puis de Palerme à l'Etna, faisant 5000 prisonniers.

    Le 2e groupe de tabors, participa à la libération de la Corse, enleva de haute lutte le col de Teghime le 2 octobre 1943 et l'un de ses goums pénétra le premier dans Bastia, le 4 octobre.

    Au Maroc, pendant ce temps, se poursuivaient la transformation et l'entraînement des 1er, 3e et 4e groupements de tabors. Coiffés de casques anglais, armés de fusils et de pistolets-mitrailleurs américains, vêtus de djellabas de laine sombre et à capuchon de montagnard, portant les jambières de laine blanche ou brune, munis, pour le repos, de la rezza (coiffure) de laine marron ou noire.

 Le général Guillaume avait été nommé au commandement des goums marocains le 1er juillet 1943. Il embarqua le 24 janvier 1944 sur le croiseur Dudgay-Trouin pour l'Italie où l'avaient précédé les 3e et 4e groupements de tabors, commandés respectivement par le lieutenant-colonel Soulard, à qui devait succéder le lieutenant-colonel Gautier, et par le lieutenant-colonel Massiet du Biest (4).

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(4) 4e groupement de tabors : 5e tabor (G.C.E.T., 41e, 70e, 71e goums), 8e tabor (G.C.E.T., 78e, 79e, 80e goums), 11e tabor (G.C.E.T., 88e, 89e, 93e goums). 3e groupement : 9e tabor (G.C.E.T., 81e, 82e, 83e goums), 10e tabor (G.C.E.T., 84e, 85e, 86e goums), 17e tabor (14e, 18e, 22e goums). ----------------------------------------

Le 1er groupe de tabors ne débarqua à Naples qu'au mois d'avril. Le général reçut d'abord un commandement dans le cadre de la 2e division d'infanterie marocaine, s'installa à Selvone, puis à Colli-al-Volturno, face à la chaîne des Abruzzes. L'hivernage fut très rude. La température de cette région, habituellement inclémente, devint horrible. Les pertes par le feu et par le froid furent sévères. Au printemps, le corps expéditionnaire français quitta les Abruzzes pour s'intercaler sur le Garigliano, entre les Anglais, qui se trouvaient dans la vallée du Liri, et les Américains, sur la bande du littorale.

    Les Allemands avaient admis une fois pour toutes que les massifs escarpés situés en face des Français étaient impraticables aux grandes unités. Ils savaient parfaitement d'autre part, que les Anglais aussi bien que les Américains n'étaient pas entraînés à la guerre de montagne. Ils faisaient peu de cas des contingents algériens et marocains dont ils estimaient l'instruction insuffisante. Le général Guillaume préconisait depuis longtemps l'emploi massif des goums dans une manoeuvre d'exploitation. Le général Juin, de son côté, mûrissait un plan qui, selon lui, devait assurer la victoire. Les Anglais et les Américains, allergiques à cette guerre de montagne qu'ils n'avaient jamais pratiquée s'obstinaient à attaquer sans cesse, en vain, la trouée de Cassino. Juin proposait au contraire de porter l'effort principal face à la montagne pour obtenir la rupture et porter la désorganisation sur les arrières ennemis. Finalement, ayant eu gain de cause, il constitua un "corps de montagne" sous les ordres du général Sevez, comprenant la 4e division marocaine et les trois groupements de tabors. Après la rupture du front par les trois autres divisions du corps expéditionnaire, ce corps foncerait à travers les hauteurs.

    Le 11 mai, Guillaume est à San Castrese. Le 14, les divisions de troupes régulières rompent le front ennemi. Le 16, les dix mille goumiers se ruent dans la brèche, enlèvent successivement tous les massifs qui, du Garigliano aux abords de Rome, séparent la vallée du Liri du littoral. Ils ne sont pas surpris, le pays qu'ils traversent est semblable au leur par son aridité et le chaos de son relief. Ils procèdent au nettoyage de la vallée de l'Ausente, forcent l'entrée du massif de Petrella, au Castello, puis au Strampaduro, nettoient encore les massifs des Aurunci, des Ausoni, des Lepinis et s'emparent de nombreux villages. Désorienté, l'ennemi décroche de partout. Les goumiers sont venus à bout des meilleurs troupes allemandes : chasseurs de montagne, panzergrenadiers, parachutistes. Ils ont mené vingt jours et vingt nuits de combats ininterrompus et réalisé une avance foudroyante. Le 2 juin leur rôle est terminé, les unités blindées et motorisées foncent sur Rome. Ils sont regroupés autour des lacs Albins, font ensuite partie du corps de poursuite, à l'aile gauche, participent à de nombreux combats du 15 juin au 3 juillet, date de l'entrée à Sienne. Le 4e groupe, qui a le plus souffert - 1513. tués et blessés, dont 27 officiers - est replié sur le Maroc. Il a contribué largement à la prise de San Gimignano. Le lieutenant-colonel d'Alès, commandant le 17e tabor, a été tué.

    Pendant ce temps, le 2e groupe de tabors, venu de Corse, a participé à la prise de l'île d'Elbe avec la 9e division d'infanterie coloniale. Il a été jeté à terre le 17 juin vers 8 heures, le débarquement s'est opéré par 1,50 m de fond, les goumiers sont arrivés sur le rivage trempés jusqu'aux os, ce qui ne les a pas empêchés d'escalader les pentes qui se trouvaient devant eux. L'ennemi avait commis l'erreur de se fixer au sol, ses positions furent débordées et réduites. La capture de la batterie de Poggio Fortino, le 19 juin, fut un haut fait d'armes. Le commandant Cros, chef d'état-major du groupement, fut tué.

    Après ces exploits, il fut fortement question de renvoyer les tabors chez eux. On avait accusé les goumiers de maints méfaits commis sur le sol italien, et les Américains se montraient très stricts à ce sujet. Pas d'irréguliers dans les futures troupes d'invasion du Midi de la France. Finalement, on se mit d'accord sur l'emploi d'un seul groupement. Lorsqu'on se compta, une fois à terre, on en trouva trois... et le quatrième n'était pas si loin. Ils marchèrent en avant avec une telle rapidité qu'on dut renoncer à les arrêter. Ils devaient aller jusqu'au Rhin d'abord, puis jusqu'au Tyrol.

    Ils furent donc 10000 goumiers mis à terre sur les côtes de Provence à partir du 16 août 1944. La bataille de Marseille devait les voir pour la dernière fois agir groupés. Ils furent ensuite employés isolément. Le 1er groupe fit tomber Cadolive, Septennes, Foresta. Le 2e s'empara du château de Forbin, de Saint-Loup, du Parc-Borély, du Roucas-Blanc, du fort Saint-Nicolas. Le 3e réduisit Mazurgues, la Vieille-Chapelle, Montredon, le mont Rose. La ville avait été libérée par la 3e D.I.A. et par les goumiers plusieurs semaines avant la date prévue par le commandement allié.

    Après la prise de Marseille, le général Guillaume fut nommé commandant de la 3e division d'infanterie algérienne. A la tête des tabors, lui avait succédé le colonel Hogard, antérieurement son adjoint.

    Le 1er groupe contribua, le 6 septembre, au dégagement de Briançon, mais perdit, le 15, le lieutenant-colonel de Colbert, tué. Dans les Vosges, les 2e et 3e groupes se trouvèrent aux prises avec des adversaires déterminés à résister sur place, livrant de sanglants combats dans la neige et sous bois. Le 17 février 1945, le 3e groupe fut retiré du front et rapatrié. Le 4e groupe, lieutenant-colonel Parlange, vint du Maroc prendre sa place.

    Le 13 mars, ayant nettoyé la forêt de Haguenau, le 1er groupe et la 3e D.I.A. attaquèrent la ligne Siegfried, la tournèrent, la forcèrent. Le commandant Abesca trouva la mort dans cette opération. Le 4 avril, les goumiers passaient le Rhin. Le 19, ils étaient à Pforzheim, le 22, les 1er et 4e G.T.M. attaquaient dans la poche de Stuttgart, le 23 et le 24 dans la forêt de Schönbuck. Le 9 mai, le 4e, ayant traversé le Danube, atteignait le Tyrol bavarois. Le 2e opérait en Forêt-Noire et débouchait dans le Tyrol autrichien. La campagne était terminée.

    Les pertes des quatre groupements de tabors, pendant la guerre avaient été de 9200 tués ou blessés (70 disparus). Les morts étaient 61 officiers, 105 sous-officiers, 1472 goumiers. Ils avaient fait 29000 prisonniers et conquis de nombreuses citations collectives à l'ordre de l'armée.

    Le 14 juillet 1945, place de la Bastille, le général de Gaulle remettait aux tabors marocains leur drapeau.

    Après la guerre, les quatre groupements de tabors marocains furent dissous, au Maroc. Il fut un moment question de supprimer purement et simplement les goums. On en conserva cependant une cinquantaine. Un certain nombre de tabors furent même conservés, les 1er, 3e et 10e, comme unités de traditions des 2°, 1er, 3e et 4e groupes. Lorsque survint la guerre d'Indochine, 3 tabors furent envoyés en Extrême-Orient et s'y sacrifièrent, notamment à Cao-Bang. Bien peu des officiers et des goumiers qui prirent part à cette malheureuse campagne revinrent. De nombreux officiers, on n'eut plus jamais de nouvelles. Cette étape marquait la fin de l'épopée des goums mixtes marocains, troupes valeureuses s'il en fut jamais au service de la France.

    Certains fredonnent et fredonneront encore le "Chant des Tabors", jusqu'au jour où il tombera dans l'oubli de toutes choses :

         On chantera, la chose est sûre,

         Pendant cent ans et beaucoup plus,

         Les exploits et les aventures

         De ceux qui se sont tant battus...

...

         Goumier à la robe de bure,

         Tu peux rentrer dans ta tribu.

    Il restera aussi une plaque dans la galerie des Invalides et un drapeau qui, un jour, tombera en poussière.

 

LES SAHARIENS 1894-1945

    Cinquante ans après leur débarquement en Algérie, les troupes françaises n'avaient guère dépassé vers le sud la ligne El Oued, Touggourt, Ouargla, El Goléa, Aïn Sefra. Le Sahara restait  à peu près inconnu. Le massacre de la mission Flatters en 1881 arrêta toutes tentatives. En 1889, le succès de la mission Foureau-Lamy devait redonner corps à l'idée d'une "Afrique française". Le capitaine Pein fut amené à occuper In Salah le 29 décembre 1899 et cette opération devait déclencher l'occupation et la soumission de toutes les oasis saharienne : Tidikelt, Gourara, Touat, Saoura. Une loi du 5 décembre 1894 porta création des troupes spéciales sahariennes comprenant un escadron de spahis sahariens sur méhari et une compagnie de tirailleurs sahariens. Il fallait maintenant soumettre les nomades et ce n'était pas chose aisée, nos colonnes n'ayant pas la mobilité nécessaire pour poursuivre ces pillards qui allaient prélever dans les oasis, périodiquement, de fortes dîmes. Le chef d'escadrons Laperrine, saharien averti, réussit à faire adopter le remplacement des spahis et des tirailleurs sahariens par des unités nouvelles encadrées par des officiers des Affaires indigènes et composées de nomades sahariens recrutés sur place et tenus de pourvoir eux-mêmes à leur nourriture, à leur vêtement et à leur remonte. Jamais la France n'eut de troupes régulières aussi peu coûteuses. Ainsi fut signé le décret du 1er avril 1902 créant trois compagnies sahariennes qui prirent le nom des trois grands groupes de palmeraies où elles établirent leurs bases : la compagnie du Tidikelt (Ksar el Kébir d'In Salah), la compagnie du Touat (Adrar), la compagnie de Gourara (Timmimoum), placées sous les ordres du commandant militaire supérieur des Oasis, lui-même relevant du général commandant la subdivision d'Aïn-Sefra.

    Ce décret venait à peine d'être signé et les compagnies n'étaient pas encore complètement organisées, quand retentit "le coup de tonnerre du Tit". Le 7 mai 1902, près du petit centre de cultures de Tit, au Hoggar, à plus de 600 kilomètres de leur base d'In Salah, cent quarante hommes, dont les deux tiers soumis de la veille après nous avoir combattus, cent quarante nomades recrutés et remontés comme allaient l'être les compagnies sahariennes, commandés par un seul officier français, le lieutenant Cottenest, infligent une sanglante défaite aux Touaregs réputés invincibles.

    Une série d'actes officiels jalonnent l'histoire des troupes du Sahara. Nous les énumérons :

  - Décret du 22 avril 1904 créant une compagnie méhariste à Beni-Abbès, pour la vallée de la Saoura, elle prend le nom de Compagnie de la Saoura.

  - Décret du 7 juin 1904 créant une compagnie non méhariste à Colomb-Béchar. Elle prend le nom de compagnie de Colomb.

  - Décret du 11 août 1905, supprimant la compagnie de Gourara.

  - Décret du 9 août 1910 supprimant la compagnie de Colomb.

   Il restait donc à cette époque, trois compagnies : Tidikelt, Touat, Saoura.

  - Décret des 5 septembre 1914 et 10 mars 1916, créant trois compagnies : compagnie de Ouargla, compagnie de Touggourt, compagnie du Sud-Tunisien. Elles seront supprimées par décret du 1er novembre 1919.

  - Décret du 11 juin 1924 dédoublant la compagnie du Tidikelt qui donne ainsi : la compagnie des Ajjers et la compagnie du Tidikelt-Hoggar.

  - Décret du 25 novembre 1937 réorganisant les compagnies qui sont donc au nombre de quatre.

  - Décret du 10 août 1935 créant une compagnie motorisée dans la région des Ajjers.

    En 1939, les troupes spéciales sahariennes sont ainsi composées :

  Groupe Sud : commandement du Territoire des Oasis (compagnie des Ajjers motorisée, compagnie des Ajjers méhariste, compagnie du Hoggar méhariste).

  Groupe Ouest : commandement du Territoire d'Aïn-Sefra (compagnie du Touat méhariste, compagnie de la Saoura méhariste).

    En tant qu'actions de guerre, on peut distinguer trois théâtre principaux qui correspondent aux diverses phases d'expansion dans les territoires sahariens. Un théâtre d'opérations oriental (Hoggar, Ajjers, confins libyens apanage de la compagnie du Tidikelt et de ses dérivés); un théâtre central (pour la compagnie du Touat) ; un théâtre occidental qui englobe le Sud-Oranais et déborde sur le Maroc (pour les compagnies de la Saoura et de Colomb).

    De 1902 à la fin de la deuxième guerre mondiale, une quantité de petites actions militaires se sont déroulées dans ces vastes territoires, mais n'ont jamais donné lieu à une opération d'ensemble. Il s'agit de reconnaissances, de mesures de police, de quelques combats dont aucun ne met en ligne plus d'une centaines d'hommes, de part et d'autre. On se rappelle, évidemment, que les Sahariens participèrent d'une manière importante aux opérations de 1942 et 1943 en liaison avec les troupes du général Leclerc. Ils se distinguèrent à Ghat le 25 janvier 1943 contre les troupes  italiennes.

    Antérieurement, il faut mentionner le combat de Tit, mai 1902, opération de guerre bien caractérisée dont nous avons dit quelques mots au début de ce petit chapitre, elle eut un grand retentissement au Sahara et on la présenta comme une revanche du massacre de la mission Flatters. Tit se trouve à 40 kilomètres au nord-ouest de Tamanrasset. Le chef de l'opération, lieutenant Cottenest, a laissé son nom à ce réel exploit. Il disposait d'un groupe de méharistes des tribus du Tidikelt et fut à l'origine de la conquête du Sahara.

    En avril 1913, eut lieu le combat d'Esseyen, qui eut un certain retentissement dans le pays Ajjer et au Fezzan. Une quarantaine de méharistes furent engagés contre 60 à 80 dissidents. Les pertes se montèrent à 10 hommes tués ou blessés. Non loin de Esseyen, on trouve Djanet, où se déroulèrent plusieurs combats en 1916, en 1919 et en 1920, véritable "point sensible" de cette région.

    Les troupes sahariennes ont été illustrées par le grand nom du général Laperrine, qui avait été nommé commandant supérieur des Territoires sahariens en janvier 1917. Vingt combats furent livrés au cours de cette année : In Abangarit (12 mars), Taket n Koubat (15 mars), l'Ilamane (5 avril), Temassinine (8 et 9 mai), Hassi Tanezrouft (12 mai), El Heïra (11 juin), In Eker (15 juin), Tehi n Akli (25 juillet). En 1918 : Aïn Guettara (1er février), Oued Arha (4 février), Bir Kecira ( 15 octobre). A la suite des opérations de Djanet, en 1918, le général commandant les troupes françaises en Afrique du Nord cita la compagnie du Tidikelt à l'ordre du corps d'armée. Pendant la durée de la guerre 1914-1918, les compagnies sahariennes accusèrent 67 tués.

    Après la dissolution du commandement supérieur des Territoires sahariens en octobre 1919. le général Laperrine fut nommé commandant de la division d'Alger. Il trouva la mort en plein désert, à la suite d'un banal accident d'avion en panne d'essence, le 5 mars 1920. à quelques kilomètres au sud d'Anesberakka entre l'Adrar et l'Aïr. Son corps fut ramené à Tamanrasset et inhumé aux côtés du Père de Foucauld. En 1928, dans un guet-apens tendu par un djich, tombaient le général Clavery, commandant militaire du territoire d'Aïn-Sefra, et deux officiers.

    Pendant la deuxième guerre mondiale, les "milices sahariennes territoriales" dissimulèrent aux regards des commissions d'armistice des goums auxiliaires levés à la mobilisation. Ils réapparurent après novembre 1942. Des opérations se déroulèrent dans le Nefzaoua, puis au nord des chotts en mars 1943. Les Américains avaient évacué Gafsa, découvrant la grande trouée vers Biskra. Rommel n'exploita heureusement pas cette possibilité de tourner la division de Constantine. La brèche fut colmatée par le groupement du colonel Amanrich (6e spahis algériens) et par un groupement saharien du capitaine Paganelli et les Italiens subirent un échec au Kef Nsilet (30 mars). D'autres opérations se déroulèrent dans la région de Ghadamès en Janvier 1943, menées par le goum méhariste d'EI Oued (capitaine Ruat). Le groupement saharien du commandant Lanney, comprenant la compagnie saharienne portée mixte (capitaine Noël), la 2e batterie saharienne portée de la Légion (capitaine Castay), un peloton méhariste du Tidikelt (capitaine Laperche), un peloton méhariste des Ajjer (lieutenant Bracq), le goum méhariste d'EI Oued (capitaine Ruat), un peloton méhariste de la milice saharienne d'EI Oued (aspirant Noblet), la compagnie de découverte du groupe nomade du Tibesti (capitaine d'Abzac) opéra la liaison dans Ghadamès avec la colonne Leclerc, poursuivit son avance vers Derj et Sinaouen, et rejoignit dans la région de Nalout, Ouezzen, Dehibat, les forces britanniques de la VIIIe armée.

    Ghat s'était rendu purement et simplement au capitaine Faugère, commandant la compagnie du Touat, qui avait également sous ses ordres la compagnie du Hoggar et un peloton du Tidikelt, le 25 janvier 1943, livrant 9 officiers, 35 gradés italiens et 300 militaires indigènes : les Sahariens avaient été les premiers à occuper une place ennemie... Ce même jour. à 15 heures, les méharistes étaient rejoints dans Ghat par la colonne motorisée du colonel Delange, des F.F.L.

    En 1947, les compagnies sahariennes furent encore une fois réorganisées. Cinq restèrent entièrement méharistes : compagnies du Touat (Adrar), de la Saoura (Tindouf), du Tidikelt-Hoggar  (Tamanrasset), du Tassili (Fort-Polignac) et de l'Erg oriental (El Oued). Deux autres, équipées en véhicules tous terrains, devenaient les compagnies sahariennes portées de la Zousfana (Colomb-Béchar), et des Oasis (Ouargla). La compagnie saharienne du Sud-Tripolitain fut dissoute et remplacée par un groupe qui devint en 1952 la compagnie saharienne d'infanterie du Fezzan et la 3e compagnie saharienne portée de la Légion.

    Le 30 novembre 1952, à Ouargla, les compagnies sahariennes célébrèrent le cinquantenaire de leur création. Elles furent citées à l'ordre de l'Armée dans les termes suivants :

  "Glorieuses unités, n'ont cessé de maintenir, après les avoir établies, la paix et la présence française de l'Atlas au Niger et des confins marocains aux frontières de Tripolitaine. Entre deux guerres mondiales, ont veillé sans défaillance à la sécurité et à l'intégrité des immensités sahariennes. En 1942-1943, en particulier, réussirent à s'opposer aux attaques d'un adversaire supérieur en nombre et doté d'un matériel puissant, qui cherchait à pénétrer dans le Sahara oriental. Puis, prenant l'offensive, participèrent brillamment à la prise de Ghat. Ont fait preuve en toutes circonstances des plus belles qualités militaires et constituent un exemple de ce que peut l'esprit d'entreprise et de sacrifice d'un petit nombre d'hommes au service d'une grande cause.

    Le secrétaire d'Etat aux Forces Armées - Guerre, M. de Chevigné, remit la croix de guerre avec palme à l'étendard des "compagnies sahariennes méharistes et portées".

    De tout cela, il ne reste qu'un souvenir. Le Sahara français a disparu, comme beaucoup d'autres réalisations françaises.

    On peut noter également, pour être complet, qu'un décret du 15 septembre 1930 avait porté création de deux compagnies sahariennes organisées au Maroc : la compagnie saharienne du Ziz et la compagnie saharienne du Haut-Guir.

Mise en page Pierre Rubira à partir de documents téléchargés sur le site: http://perso.netpratique.fr/michel.martin47/armee_d_afrique/

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La dernière mise à jour de ce site date du 03-mars-2013